Dr Henry Joseph “La patate douce a démontré ses vertus santé”
il se bat au quotidien pour la revalorisation des aliments locaux.
Il détaille pour LJS.com les conséquences de l’introduction des produits métropolitains aux Antilles en s’appuyant sur l’exemple de la pomme de terre (importée) face à la patate douce (locale).
Quelle part prennent les produits locaux dans l’alimentation antillaise ?
La Guadeloupe importe près de 80 % de son alimentation. Nous consommons donc essentiellement des aliments raffinés possédant des index glycémiques (IG) élevés (pommes de terre, riz précuit, pain blanc, soda, sucreries, etc.) auxquels il faut rajouter le sucre de canne local (IG= 70).
La mesure de l’index glycémique sert à évaluer le pouvoir glycémiant d’un aliment par rapport à un aliment de référence en général le glucose (IG = 100). Plus l’IG est élevé (supérieur à 70), plus la libération de l’insuline dans le sang sera importante et plus le taux de sucre sanguin sera élevé dans les 2 heures qui suivent l’absorption de l’aliment.
A côté des aliments importés, nous ne mangeons quasiment pas de fruits et de légumes locaux pourtant riches en vitamines et avec des index glycémiques souvent bas comme les patates douces, la mangue, la papaye, les pois de bois, les pois boucoussous.
Qui dit aliments raffinés dit risque potentiel de surpoids et de diabète. Qu’en est-il ?
Le fait de consommer des aliments à IG élevés comme la pomme de terre et ses produits transformés augmente en effet le risque de diabète et de surpoids. La Guadeloupe consomme ainsi annuellement 9 000 tonnes de pommes de terre fraîches et une quantité très importantes de pommes de terre transformées comme les frites congelées (restaurants, fast-foods, cantines), les purées déshydratées, les chips, etc. Aujourd’hui le constat est plus qu’inquiétant : 16 % des enfants guadeloupéens et près de 20 % des petits Martiniquais soufrent d’obésité selon l’observatoire de la santé. 6 % de la population adulte souffre par ailleurs de diabète. Cette maladie connaît de fortes variations selon les communautés : c’est ainsi que pour la population indienne, la prévalence passe à 36 %.
Existe-t-il des légumes locaux pouvant concurrencer des aliments à IG élevé comme la pomme de terre ?
Originaire d’Amérique du Sud, la patate douce, cultivées aux Antilles, n’appartient pas à la même famille que la pomme de terre. Présentant les mêmes qualités culinaires que cette dernière, elle diffère par ses propriétés nutritionnelles. Premièrement, la patate douce possède un IG de 50 qui la classe parmi les aliments à IG bas. Ensuite, elle présente des vertus santé démontrées. Selon la couleur de la chair, les propriétés nutritionnelles diffèrent et les effets sur l’organisme aussi. Ainsi les variétés jaunes seraient plus riches en vitamines A et C et protègeraient contre les cancers de l’estomac. Une variété violette, appelée en Guadeloupe « patate betterave », est riche en dérivés phénoliques anthocyaniques ayant des propriétés détoxifiantes en médecine traditionnelle et des effets pharmacologiques démontrés : antioxydants, antimutagéniques, hypoglycémiants, chimiopréventifs contre certains cancers.
Comment expliquez-vous que la patate douce, vu ses qualités, n’est pas plus consommée que la pomme de terre ?
La logique voudrait en effet que nous mangions nos cultures locales. Cependant, le circuit de distribution de la patate douce est très mal organisé et la production hétérogène (forme et poids variables, pas de variété régulière sur toute l’année). De plus, la valeur nutritionnelle de la patate douce est méconnue et l’image des produits locaux est dévalorisée au profit de celle des aliments importés. Enfin, il n’existe aucun produit transformé à partir de la patate douce.
Quelles sont les raisons de la sous consommation de fruits aux Antilles ?
On constate encore de nos jours en Guadeloupe que les fruits au petit déjeuner et les desserts à base de fruits après les principaux repas sont quasi inexistants dans la vie de tous les jours. Cette faible consommation de fruits serait liée à deux facteurs : l’un, d’ordre culturel et l’autre, d’ordre économique, principalement dû à une faible productivité locale de fruits.
En ce qui concerne la cause culturelle, il faut savoir qu’une bonne partie de la population guadeloupéenne croit encore qu’il ne faut pas manger certains fruits, sous prétexte qu’ils donnent des vers (c’est la pensée de 402 enfants sur 611 interrogés lors d’une enquête sur la nutrition réalisée par des médecins dans les écoles), ou encore que la banane, l’ananas, le concombre font mal quand on a chaud. Mais aussi que les mangues donnent de la bile (probablement à cause de sa couleur jaune) et que la sapotille donne la « blennorragie », une maladie pourtant transmise sexuellement.
Ces idées fausses circulent-elles dans toute la population antillaise ?
Selon José de Castro, auteur Brésilien de « Géographie de la faim », ces tabous remonteraient à la période esclavagiste. Ils n’avaient déjà à l’époque aucun fondement et n’étaient constitués et propagés par les colons que pour ériger de véritables barrières morales pour la défense de leurs biens. Le problème c’est qu’aujourd’hui, à notre insu, ces croyances anciennes se sont installées aussi bien chez les riches que chez les pauvres.
De plus les fruits et légumes locaux ne font pas partie de notre éducation gustative dès le jeune âge, car nos bébés sont élevés de plus en plus aux petits pots achetés dans le commerce et contenant de l’artichaut, du coing, des pruneaux, des pommes, des poires, bref que des aliments venant de la métropole. Et nous construisons ainsi des petits guadeloupéens néophobes (peur de l’aliment inconnu) vis-à-vis de nos fruits et légumes pays.
Qu’entendez-vous exactement par néophobie ?
La notion de néophobie a été développée par Nathalie Rigal (psychologue –chercheur). Selon elle, le petit omnivore possède des capacités olfactives et gustatives d’une grande finesse. Au fil des mois qui suivent sa naissance, il va s’initier aux odeurs et saveurs de son entourage. Vers 3 ans les choses se corsent et il devient très sélectif sur le contenu de son assiette et, à 4 ans, il adopte la panoplie du parfait conservateur et ne consomme que ce qu’il connaît. Après enquête, il s’avère que 75 % des enfants de deux à dix ans refusent de se laisser séduire par tout produit inconnu de leur répertoire alimentaire. D’où la conséquence grave que nos enfants guadeloupéens élevés aux petits pots « pomme –coing » auront du mal à consommer des mangues des goyaves, des cythères, fruits locaux inconnus de leur répertoire. Il faudra qu’ils s’exposent 7 fois devant l’aliment inconnu (et avec amour) pour pouvoir l’adopter.
Quelles sont les conséquences sur la santé des Antillais des dérives de leur alimentation ?
L’éloignement de notre écosystème pourrait être la cause des constipations, des avitaminoses, des neurasthénies, des pertes de mémoire, des maladies métaboliques et dégénératives dont souffre la population.
D’où l’intérêt de nourrir nos enfants très tôt aux fruits et légumes locaux si nous voulons gagner la bataille de l’obésité ou des maladies métaboliques liés aux aliments importés trop raffinés. D’autant que notre patrimoine végétal est riche : sur les 3600 espèces que compte la flore de Guadeloupe, nos ancêtres nous ont laissé 625 espèces médicinales, 220 espèces comestibles composés d’environ 130 fruits, 60 légumes, 20 tubercules et une dizaine de noix et graines.
Que faudrait-il changer à la politique de santé antillaise en vigueur ?
Une stratégie de prévention nutritionnelle apparaît comme un enjeu économique et un enjeu de santé publique pour la Guadeloupe. En fait, le moyen le plus simple pour combattre les maladies chroniques consiste à avoir une alimentation variée et équilibrée, combinant 5 à 10 fruits et légumes par jour à la consommation régulière de des poissons gras riches en oméga-3 et à un choix éclairé des huiles végétales.
Pour cela, il faudrait que le Guadeloupéen se réapproprie quotidiennement son marché local et que nos agriculteurs se dirigent vers une agriculture biologique pour redonner confiance. Ainsi leur avenir économique sera assuré et nous améliorerons tous notre santé en consommant tous jours les fruits et légumes frais provenant de leur production.
Mais pour atteindre ces objectifs, il faut un renversement complet de la tendance j’ai reformulé, la phrase originale était trop « écrite » actuelle avec la formation des professionnels de santé en médecine préventive et l’introduction à l’école de cours d’éducation nutritionnelle.
Existe-t-il actuellement des initiatives nutritionnelles visant à éclairer les habitants sur les qualités des aliments locaux ?
Pour ma part j’ai offert aux Guadeloupéens un livre ouvert sur la composition nutritionnelle des fruits et légumes du pays. Il est installé sur le marché de la capitale Basse-Terre sur des panneaux de 4 m2.
Nous avons réalisé aussi un grand débat télévisé sur la nutrition dans l’émission « Café créole » avec des professionnels de santé, des diététiciens, la sécurité sociale et des malades.
Et nous continuons nos actions concrètes sur le terrain.